Attentat de Conflans : le triomphe de l’idéologie de Daesh

27 octobre 2020

Après l’assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre dernier, il est nécessaire, au-delà de l’horreur, d’analyser et de comprendre la particularité de l’acte et du mode opératoire d’Abdouallakh Anzorov, mais aussi des représentations belliqueuses liées à la communauté tchétchène.

Un procédé profondément ancré à la propagande de Daesh

Lorsque l’Organisation État Islamique (OEI) est à l’apogée de sa période de territorialisation en zone irako-syrienne (2014-2018), la sanctuarisation de son espace a permis l’éclosion d’une propagande sur internet via les réseaux sociaux et les forums en ligne. Par ce biais, le groupe terroriste a pu et su passer son message par des procédés ultraviolents marquant durablement l’imagination et l’affect de ses spectateurs. Par exemple, des vidéos prises avec des caméras go pro mettent en scène le djihadiste comme le personnage que l’on contrôle lors du jeu de tir « Call of Duty », créant une passerelle entre l’horreur et le divertissement.
Dans la même idée, Daesh utilisait particulièrement les mises en scène où les prisonniers, habillés en orange à la façon des prisonniers américains, étaient égorgés ou décapités devant la caméra. Nombre d’entre nous ont vu ne serait-ce qu’une capture d’image de ces actes barbares, qui ont durablement marqué nos affects.
Aujourd’hui, si la propagande de l’EI n’est plus aussi puissante qu’elle ne l’était durant sa période de territorialisation, elle marque encore les esprits dans le monde de l’islamisme et du djihadisme français. En ce sens, l’auteur de l’assassinat de Samuel Paty coche toutes les cases des mécanismes de la propagande de Daesh :

  • un acte barbare qui a pour but de marquer durablement les esprits;
  • une mise en scène via les réseaux sociaux utilisés avec aisance;
  • un vocabulaire choisi et en adéquation.

La France a déjà connu des horreurs de ce genre. L’auteur de l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier du 26 juin 2015, Yassin Sahli, avait fait une mise en scène macabre autour du corps décapité d’Hervé Cornara, avant d’envoyer deux photos à un djihadiste parti en Syrie. De même, le 26 juillet 2016, le père Hamel avait été sauvagement égorgé à l’église de Saint-Étienne du Rouvray par deux terroristes. Cependant, ici, l’évolution est palpable : Abdoulakh Anzorov a choisi de diffuser son acte sur twitter, soit d’atteindre directement le plus grand nombre de personnes. Et cela a réussi, puisque des captures d’écran ont circulé sur les réseaux sociaux à une vitesse plus grande que les tentatives de contrer la diffusion de ces images, qu’un grand nombre de nos jeunes ont vu.

Cet épisode montre qu’aujourd’hui, le terrorisme islamiste n’a plus besoin d’avoir un sanctuaire centralisé pour choquer et avoir un large impact sur les réseaux sociaux : ses affidés ont très bien compris ces processus de manière intuitive, et font eux-mêmes de la propagande avec presque autant d’efficacité que la maison mère, et avec des moyens drastiquement réduits. Le profond impact que laisse déjà la décapitation de Samuel Paty et les conséquences politiques qui en découleront le prouvent suffisamment. L’autonomie voulue par al-Adnani, l’ancien porte-parole de Daesh, qui souhaitait que les sympathisants de Daesh ne pouvant rejoindre la Syrie frappent partout où c’est possible, avec une autonomie complète et avec les moyens du bord, trouve ici son aboutissement ultime.

Parmi les populations visées par l’État islamique, la communauté tchétchène est particulièrement touchée, de par la vision de sa place dans le monde et dans l’histoire. Il convient donc de comprendre les représentations liées aux Tchétchènes, pour pouvoir enfin piloter une politique efficace envers elle.

Non, les Tchétchènes ne veulent pas la guerre civile

Le système politique de l’islam médiéval induit une séparation en « ethnies combattantes » (avec les Caucasiens et les Turcs en Asie, par exemple), et en ethnies non combattantes (les Persans et les Grecs, pour ne citer qu’eux). Le but pour les États de l’islam médiéval était donc de puiser dans ces « réserves de violences » qui regorgeaient de populations vues comme capables de porter et de manier efficacement les armes, et donc, de protéger l’État.
L’État islamique, dans son territoire, et dans sa vision d’un retour à l’empire islamique du califat de Bagdad (750-1258) a embrassé cette idée, en a fait un maillon essentiel de son système politique, et l’a décliné dans sa propagande. Le cas le plus emblématique en est le tchétchène Abou Omar al-Chichani (mort en juillet 2016), ministre de la guerre de Daesh, et commandant d’une force d’élite qui était constituée majoritairement de Caucasiens, censés être plus compétents que leurs homologues arabes. Al-Chichani provenait par sa mère, comme Anzorov, de la même zone de Tchétchénie occidentale d’Ourous-Martan et de la vallée de Pankisi, située en Géorgie. Le message est clair : les Tchétchènes sont un peuple combattant et doivent tenir leur rang dans l’histoire du monde et au sein de la galaxie djihadiste.
Les Tchétchènes, représentés en grands combattants, faisaient l’admiration des djihadistes de Daech. L’un des anciens procureurs à Raqqa, Abou Sakr, témoigne : « Ces gens valent mieux que vous et moi, je vais vous donner un exemple. En plein bombardement aérien, un Tchétchène sort et hurle vers le ciel : “Bande de kouffars (infidèles), je suis là ! Venez me chercher !” Ils sont exceptionnels, non ? »

Mais, tout ceci est une représentation. Quand Ramzan Kadyrov, le dirigeant de la Tchétchénie, roule des mécaniques en pratiquant le MMA et en annonçant haut et fort « qu’il n’y a pas d’homosexuels en Tchétchénie », il nourrit la représentation d’un peuple combattant viril portant haut ses valeurs martiales. Cette représentation est aussi nourrie par la diplomatie internationale de la Tchétchénie de Kadyrov qui, dans l’ombre de Poutine, envoie des mercenaires partout dans le monde au nom des intérêts de la Fédération de Russie, mais aussi pour montrer « l’excellence » des Tchétchènes dans la chose militaire. Ainsi, lorsque Bachar el-Assad reprend Alep en 2015, des Tchétchènes ont été dépêchés pour assurer une « police militaire » dans la ville. Aujourd’hui, des mercenaires tchétchènes combattent au côté du maréchal Haftar pour le contrôle de la Libye. La représentation guerrière tchétchène est très présente dans la culture populaire russe, puisque, dans une berceuse de 1840, Mikhail Lermontov écrivait :

« Sur les cailloux le Terek roule
Sombre et clapote,
Sur ses bords le tchétchène aiguise,
Sournois, sa lame,
Mais ton père le vieux guerrier, est endurci ».

À la suite des attentats de Conflans, certains représentants politiques se sont gravement trompés en confondant représentation et état de nature. Ainsi, lorsque Jean-Luc Mélenchon parle des Tchétchènes comme une communauté qui souhaite la guerre civile, il participe à cette représentation belliqueuse de la communauté tchétchène. Ce faisant, il confirme leur rôle comme une « ethnie combattante » et pousse davantage ses membres à considérer la violence comme un état de nature incontournable au sein de la communauté tchétchène.
Jean-Luc Mélenchon est cité en exemple, car il la lie ouvertement à la violence que sa représentation véhicule. Mais il est bien loin d’être seul. Néanmoins, on se dirige fermement vers la définition que Hobbes donne à l’État de nature, celui de la lutte de tous contre tous, et où chacun s’approprie ce qu’il souhaite en fonction de la violence qu’il peut déployer. La vie humaine est alors selon lui, « solitaire, besogneuse, quasi animale et brève ».

Il y a donc urgence à sortir la communauté tchétchène de la violence, dans laquelle sa représentation l’enferme, car la République n’est pas que le rejet du communautarisme. C’est aussi l’acceptation que l’on puisse quitter un environnement socioculturel dans lequel on se sent en rejet, même si on y a été élevé. C’est la possibilité d’intégrer une communauté nationale où il n’est plus attendu de se comporter de la façon, dont on est attendu de le faire en raison de son origine de naissance. C’est, en cela, que la République s’oppose au projet communautariste, qui est un système totalisant, puisqu’il exige aux personnes de se comporter en fonction de leurs origines.

Faire République, c’est permettre à tous de se comporter selon son envie, sa vision et ce, en toute indépendance, dans le respect des lois et du bien commun. C’est pour cela que République Souveraine continue, et continuera à défendre nos valeurs républicaines.

 

Commission affaires intérieures de République souveraine

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