L’universalisme républicain, notre modèle d’intégration

2 avril 2019

Or notre idéal républicain, qui fait abstraction des origines, de la religion, des opinions ou de l’orientation sexuelle des citoyens, est aujourd’hui mis à mal, les différentes communautés, notamment religieuses, exigeant de plus en plus un traitement particulier. Face à ce séparatisme intérieur, les réactions politiques témoignent d’un recul stupéfiant : le Premier ministre revendique une « laïcité apaisée », le Président de la République appelle à « réparer le lien entre l’Église et l’État », comme si le rôle des pouvoirs publics était désormais de rassurer les représentants religieux et non de leur poser des limites claires et précises.

Les défenseurs de l’universalisme républicain et de la laïcité sont aujourd’hui criblés de critiques, qualifiés de laïcards, voire de néocolonialistes et d’islamophobes, à cause de leur volonté de soumettre toutes les religions à une adhésion commune à la République. Ces accusations, qui laissent de côté catholiques et bouddhistes, se concentrent sur le caractère prétendument discriminant du modèle universaliste vis-à-vis des musulmans. C’est pourtant la présence envahissante du catholicisme que la République a longtemps combattu, à l’époque où cette religion empiétait massivement sur la sphère politique. Si aujourd’hui les tenants de l’universalisme s’inquiètent de l’influence de l’islam, ce n’est pas en vertu d’une quelconque « obsession » antimusulmane, mais parce que de nos jours c’est une fraction des pratiquants de cette religion qui défie l’autorité laïque de la République en faisant preuve d’une radicalité particulière. Ce n’est pas la religion musulmane que l’universalisme critique, ni ses pratiquants – parfaitement libres d’exercer leur culte dans l’intimité de leur foyer et au sein des mosquées –, mais les manifestations publiques et politiques de cette identité religieuse.

On oppose également à l’universalisme le fait que la religion musulmane serait aujourd’hui celle des pauvres et des opprimés. À les suivre, on devrait pratiquer vis-à-vis de l’islam une sorte de discrimination positive en tolérant de sa part ce qu’on ne tolérerait jamais des autres cultes, afin de ne pas aggraver la domination que subissent ses pratiquants. Mais les pauvres et les opprimés sont également les premiers à subir les excès de l’islam radical et de l’islamisme politique : dans le monde, plus de 80 % des victimes du terrorisme islamiste sont musulmans ; dans notre pays, ce sont eux qui vivent au quotidien l’expansion de cette idéologie dans les banlieues. Ils sont d’ailleurs nombreux à dénoncer l’abandon de ces territoires par l’État, qui les contraint à vivre dans une sorte d’extraterritorialité par rapport aux lois de la République.

Non, décidément, rien ne semble plus étranger au colonialisme que la volonté de donner à tous nos concitoyens la liberté de vivre sous l’empire commun de la République, sans se voir obliger de pratiquer un culte, de porter un vêtement ou de suivre un code de conduite particulier. L’universalisme républicain ne cherche pas à discriminer, ni à incriminer, mais à émanciper les citoyens de tout déterminisme social ou religieux. Alors au nom de quoi devrait-il céder la place au modèle communautariste ?

Si le colonialisme consiste à imposer, au besoin par la force, un ensemble de valeurs et de règles à des peuples considérés comme étant moins avancés, alors il serait plutôt aujourd’hui du côté de l’impérialisme intellectuel des Anglo-saxons, qui refusent qu’il existe plusieurs façons de traiter les rapports entre religion et politique. Le prosélytisme du modèle communautariste, qui trouve des relais d’opinion tant dans l’extrême-gauche indigéniste qu’au sein des formations politiques atlantistes, s’apparente à une ingérence dans les affaires intérieures de notre pays. Dans ce domaine, comme dans d’autres, il nous faut retrouver la capacité à tenir un discours souverain et à assumer la voie qui nous est propre.

Non seulement le modèle anglo-saxon n’a rien d’une panacée – la violence interethnique et les discriminations raciales représentent aux États-Unis un problème autrement plus important qu’en France –, mais il est profondément étranger à notre histoire, à « l’ADN » de la nation politique française. Essayer de l’appliquer dans notre pays ne peut qu’aggraver les maux qu’on prétend soigner. Dans une société profondément marquée par la tradition universaliste, mettre en avant les critères religieux, raciaux ou sexuels en tant que marqueurs identitaires, voire en tant que principes d’action politique – pensons aux réunions « en non-mixité » de couleur ou de genre –,ne conduira pas à pacifier la société, mais au contraire à exacerber les tensions tout en participant à la délégitimation de l’État.

L’universalisme républicain, la souveraineté et l’unité nationale sont étroitement liés. L’affaiblissement de la République fait le jeu des déterminismes sociaux et permet aux entrepreneurs identitaires de mettre la main sur d’illusoires communautés auxquelles ils estiment être les seuls à pouvoir parler. Pour jouer pleinement son rôle émancipateur, l’État doit se redonner les moyens d’imposer son modèle universel, qu’il s’agisse de l’éducation des citoyens, du maintien du religieux hors du champ politique ou de la prise en charge volontariste des oubliés des mutations économiques. Pour commencer, il nous faut retrouver le sens de notre légitimité, la capacité à défendre et à assumer nos choix historiques. Cela implique d’en revenir à des principes clairs et de nous y tenir, en particulier en matière de religion.

Qu’on ne s’y trompe pas : l’écrasante majorité du peuple français, y compris de Français de confession musulmane, reste foncièrement opposée au communautarisme et attachée à une vision stricte de la laïcité (voir l’enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, mars 2019). Il est temps de reprendre notre destin en main et de ne plus avoir peur de défendre l’universalisme républicain – notre héritage historique et notre bien commun.

Djordje Kuzmanovic

Président de République souveraine

Version résumée et remaniée du discours sur l’universalisme républicain, prononcé devant l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis le 12 janvier 2019, et de la tribune parue dans Marianne le 23 janvier 2019 sous le titre « Cessons de caricaturer l’universalisme républicain ».

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