Coronavirus – Monsieur le Président de la République, adoptez la stratégie sud-coréenne : il nous faut des masques et des tests !
De toutes parts les médecins français alertent sur le manque de masques et de tests. Le Gouvernement ne s’est clairement pas préparé à l’épidémie ; or celle-ci n’en est qu’à ses débuts. Quelle sera la situation lorsqu’elle aura pris de l’ampleur, lorsqu’unebonne partie des personnes qui ont profité aujourd’hui d’un beau dimanche ensoleillé pour se masser dans les marchés et dans les parcs se rendront aux urgences ? Les quelques masques disponibles ont été distribués dans les bureaux de vote pour procéder au premier tour d’une élection qui aurait pu être reportée, d’autant plus qu’il n’y aura sans doute pas de second tour.
Cette impréparation se marie bien avec la stratégie dite « d’immunité collective » que le Président de la République a sous-entendue, et que le ministre Blanquer a clairement avouée en disant que la moitié de la population française, au moins, serait infectée et que les mesures prises visaient non pas à endiguer, mais à étaler l’épidémie.
Cette stratégie consiste à faire le pari – très risqué – que la maladie ne mutera pas et que ceux qui ont été infectés ne pourront pas l’être à nouveau. Elle consiste à accepter, pour ne pas paralyser l’économie, que l’infection progresse, en s’assurant quecette progression soit suffisamment lente pour que les hôpitaux ne soient pas saturés. Mais comment s’en assurer sachant que ces mêmes hôpitaux ont été mis en coupe sévère pendant des années, et que les masques qui protégeraient efficacement les soignants manquent, comme manquent les tests qui permettraient d’isoler les personnes contagieuses ? Aujourd’hui, les médecins de ville ne peuvent pas différencier un cas de grippe saisonnière ou de rhino-pharyngite d’un cas bénin de COVID-19, et ils doivent tous les renvoyer chez eux, alors que ces patients vivent peut-être avec des personnes à risque. On voit bien tout ce que cette idée d’un développement contrôlé de la maladie peut avoir d’illusoire.
Illusoire, cette stratégie est surtout criminelle : elle repose sur l’idée que la société, comme un trader, doit « prendre ses pertes », que pour sauver le plus important – pour le Président, il semble évident que c’est l’économie – il faut accepter que des gens tombent malades. Mais ce qui n’est pas avoué clairement, c’est que si certains malades guérissent, d’autres meurent du COVID-19 : généralement les plus âgés et les malades chroniques. La stratégie « d’immunité collective » consiste donc à laisser mourir les plus faibles de la collectivité. C’est, ni plus ni moins, du darwinisme appliqué.
Combien de Français vont mourir ? Ce nombre va entre autres dépendre de la possibilité de garder le nombre de malades hospitalisés et surtout de patients graves en réanimation en dessous des capacités maximales des hôpitaux français. Les pouvoirs publics sont-ils sûrs d’y parvenir ? Car s’ils n’y parviennent pas et que les malades graves restent sans soin, le taux de létalité va s’envoler. On parle de centaines de milliers de morts ; le Gouvernement en a-t-il bien conscience ?
Est-ce l’impréparation, l’absence d’un stock de masques et l’incapacité – toute relative, car il suffirait d’y mettre les moyens – à produire des tests en nombre suffisant qui ont conduit le pouvoir à choisir cette stratégie, ou bien est-ce cette stratégie qui l’a conduit à ne pas se préparer ? L’histoire le dira – et jugera ce pouvoir.
Pourtant, une autre stratégie existe : celle mise en œuvre par la Corée du Sud. Elle consiste non pas à accepter qu’une grande partie de la société soit infectée – quitte, cyniquement, à en perdre en route –, mais à arrêter la maladie. Les choses avaient pourtant mal commencé dans ce pays : une église évangélique, habituée des grands rassemblements, avait en effet constitué un premier foyer très actif, à cause d’une mission, longtemps dissimulée par ceux qui y avaient participé, à Wuhan. L’administration du président Moon a pris les choses en main, le confinement a été décidé très rapidement, des tests massifs – plus de 250 000 pour un pays de 51 millions d’habitants, 20 000 par jour contre seulement 1 000 pour la France – organisés dans la population générale pour isoler les cas contagieux, qu’ils soient sévères ou bénins, et les masques n’ont pas manqué non seulement aux soignants, mais à la population. Les tests, gratuits, durent dix minutes et les citoyens reçoivent le résultat par texto. Les personnes contagieuses sont isolées et leur respect du confinement est surveillé.
Bien sûr, cela a coûté cher, et l’économie s’en ressentira. Certains aspects de la stratégie coréenne, dans un pays où la vie privée n’est pas aussi sacrée qu’en France – les téléphones portables ont pu servir de mouchards pour retracer le parcours des personnes infectées et ont parfois révélé des visites dans des boutiques de dessous coquins… –, ne doivent sans doute pas être repris tels quels. Mais la France pourrait retenir l’objectif de protéger le maximum de citoyens de la contagion, grâce à un confinement rapide et surtout à des tests et à des masques abondants.
Car cela marche : les nouveaux cas ne sont plus que d’une centaine par jour, alors qu’il y a eu 8 162 cas en tout. L’épidémie est sous contrôle. Cela aura coûté cher, mais l’économie devrait reprendre bien plus rapidement qu’en Europe, où le parti pris« d’immunité collective » devrait paralyser le pays pendant de nombreux mois.
Certes, une fois l’épidémie achevée, la population française seraitcollectivement immunisée contre le SARS-CoV-2 – au prix de lourdes pertes, et à condition que le virus ne mute pas. La population coréenne ne le sera pas, et le pays devra donc rester vigilant pour contrôler tout foyer de réinfection. Mais si elleconserve bien cette vigilance, la Corée du Sud devrait pouvoir amener ses citoyens, sans trop de morts, jusqu’au jour où un vaccin permettra de maîtriser le dangereux virus pour en faire un agent pathogène parmi d’autres. Le jeu ne vaut-il pas la chandelle ?
Monsieur le Président de la République, vous devez changer immédiatement de stratégie. Vous devez faire en sorte de protéger tous les citoyens, qu’ils soient jeunes ou vieux, malades ou bien portants. Vous devez acheter en urgence des masques à la Chine et des tests à la Corée du Sud pour sauver les vies que vous mettez gravement en danger. Vous devez interdire à tous les citoyens de sortir de chez eux, sauf pour travailler – si leur activité est indispensable à la survie de la société – ou pour se ravitailler. Bref, vous devez adopter la stratégie sud-coréenne.