Attaques virulentes contre Henri Peña-Ruiz, retour sur une polémique artificielle
Lors des « Amfis » de la France insoumise, le philosophe Henri Peña-Ruiz, spécaliste reconnu de la laïcité, a prononcé une conférence dans laquelle il a souhaité – en bon professeur de philosophie – clarifier des concepts en isolant d’une part l’hostilité à un groupe de personnes déterminées par leur religion et d’autre part la critique de cette même religion, la première étant condamnable, la seconde parfaitement légitime. Prenant le mot « islamophobie » dans son sens étymologique d’hostilité à l’Islam, il a ainsi dit «On a le droit d’être islamophobe comme d’être athéophobe ; en revanche, on n’a pas le droit de rejeter des hommes et des femmes parce qu’ils sont musulmans.»
On aurait pu lui reprocher d’avoir oublié de préciser « au sens étymologique » ou d’avoir utilisé imprudemment un mot confus et sensible, mais le sens très clair de son discours – pour peu qu’on ne fasse pas preuve de malhonnêteté intellectuelle – n’aurait jamais dû provoquer la polémique disproportionnée qui a eu lieu. Mais alors, pourquoi une telle agitation ?
Il ne faut pas en rechercher la cause dans la maladresse du philosophe, mais bien plutôt dans le but, pourtant parfaitement salutaire, qu’il s’était fixé. La notion d’islamophobie, quel qu’en soit l’inventeur – la polémique stérile sur ce point n’a aucun intérêt – a en effet aujourd’hui une fonction principale pour tout un pan du débat public : celle de confondre hostilité à l’islam et hostilité aux musulmans, et précisément d’empêcher la clarification conceptuelle qu’Henri Peña-Ruiz a tenté de faire. Issu d’une vision anglo-saxonne, donc non laïque, dans laquelle la société est constituée de communautés religieuses vivant les unes à côté des autres se tolérant mutuellement, ce mot ne devrait pas avoir sa place dans la société laïque française, où les croyances religieuses, depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sont des opinions comme les autres : chacun est libre de les exprimer, mais aussi de les critiquer.
L’hostilité à des personnes en raison de leur appartenance supposée à une religion étant clairement contraire aux valeurs républicaines telles qu’exprimées notamment dans le Préambule de 1946, la confusion entre cette attitude et la critique de leur religion permet d’assimiler cette critique à du racisme pour museler son expression. Le même phénomène est à l’œuvre lorsque certains assimilent la critique de la politique menée par le gouvernement israélien à de l’antisémitisme.
Le racisme est un phénomène bien trop grave, il a provoqué et provoque encore aujourd’hui beaucoup trop de souffrances pour que l’on puisse tolérer ce genre de manipulations. La Nation française ne doit pas se laisser aller à de fausses polémiques qui irritent ou blessent ses membres, qu’ils croient de bonne foi qu’on légitimerait l’hostilité à leur égard en raison de leur religion ou qu’ils se voient menacés dans leur liberté de critiquer les religions, toutes les religions.
République souveraine récuse donc la notion confusionniste d’islamophobie et réaffirme tout son soutien au philosophe Henri Peña-Ruiz, qui avait raison de vouloir la déconstruire. D’une manière plus générale, les Français ne devraient pas, par suivisme ou effet de mode, adopter sans réfléchir les manières de penser produites par des sociétés anglo-saxonnes qui n’ont ni la même Histoire, ni les mêmes fondements. L’universalisme, qui a considéré les Juifs comme des citoyens en 1791 et aboli l’esclavage en 1794 au nom de l’égalité de tous les hommes, ne doit pas se laisser intimider. Il est ce qui permet à la Nation française de vivre en harmonie dans toute sa diversité.