Pourquoi ça ne sert à rien d’aller voter pour l’Europe telle qu’elle est.

24 mai 2019

Tout a été verrouillé pour rendre impossible tout retour en arrière et toute remise en cause par les peuples de l’ordre économique néo-libéral.

L’Union Européenne est-elle réformable?

La question se repose de façon lancinante. La normalisation de la Grèce avait permis de mesurer le niveau de violence et de négation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dont était capable l’UE. Le Brexit, et les convulsions qui l’accompagnent, l’ont reposée plus récemment. L’appel aux citoyens des Etats membres de l’UE d’aller élire des représentants dans ce qui tient lieu de Parlement dans la construction institutionnelle européenne actuelle oblige encore à se la reposer, avant de décider de participer à une compétition qui voit, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, un nombre inusité de listes se disputer les suffrages dans un contexte de défiance généralisée envers la machinerie bruxelloise.

Les politiques impulsées par l’UE sont marquées par un triple constat: austérité, ultra-libéralisme, refus de démocratie

L’austérité tout d’abord. Les politiques d’austérité conduites uniformément en Europe sous l’impulsion et l’étroit contrôle de la Commission européenne enfoncent les économies nationales dans la dépression, paupérisent les populations et vont jusqu’à organiser un pillage caractérisé, comme on l’a vu en Grèce avec les programmes de privatisation. L’objectif central de ces politiques est d’abaisser encore et toujours le “coût du travail”, d’organiser le dumping social et fiscal entre Etats membres pour le plus grand profit des entreprises multinationales européennes comme américaines, et in fine d’assurer le remboursement des dettes et des intérêts vers les banques, au détriment des besoins des économies nationales.

L’ultra-libéralisme ensuite. La seule “vision” projetée par l’UE à travers ces politiques est celle de la doxa libérale la plus pure, qui se résume en la croyance que la libéralisation absolue des échanges, le primat de la “concurrence libre et non faussée” et la mise à bas de toute contrainte sociale, écologique ou réglementaire conduisent forcément à la croissance et au bien-être. 

Le déni de démocratie enfin. La dimension démocratique est fondamentalement absente de la construction européenne. C’est vrai au quotidien, avec une Commission non élue, un Parlement dépourvu de l’initiative législative et sans contrôle effectif sur l’exécutif, une Cour de Justice de l’UE qui s’est arrogé le pouvoir exorbitant de “dire le droit” européen, et une délégation massive de pouvoirs à des entités bureaucratiques co-optées, hors du champ politique et par construction non responsables devant les peuples. La caricature en est fournie par la BCE, Banque Centrale européenne ne dépendant de personne -si ce n’est de la finance internationale.

Est-il besoin de rappeler les propos extraordinaires de Jean-Claude Juncker, Président de l’UE: “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les Traités européens”.

Chaque fois que les peuples furent appelés à donner leur avis par referendum, l’UE fut rejetée et le résultat de ces consultations fut systématiquement foulé aux pieds. Rappelons qu’en 2005, 55% des citoyens français rejetèrent le projet de Traité Constitutionnel Européen poussé par Valéry Giscard d’Estaing. En 2008 Nicolas Sarkozy l’imposait en France sous la forme du Traité de Lisbonne, et en 2012 François Hollande parachevait le processus en en ratifiant les décrets d’application.

La réaction qui s’est produite en Angleterre a pris la forme du Brexit. La façon dont il a été défendu pose certes problème, puisque ce sont les forces les plus xénophobes et réactionnaires qui ont porté la campagne. La gauche britannique s’est avérée incapable de se positionner pour une sortie de l’UE dans une perspective progressiste, laissant ainsi le champ libre à l’extrême droite qui a exploité l’exaspération des secteurs les plus défavorisés et les plus impactés par les politiques libérales.

Ce phénomène est hélas général en Europe: à de rares exceptions près, la “gauche européenne” reste engluée dans la croyance que l’Union Européenne telle qu’elle existe aujourd’hui reste le seul cadre possible de pensée. Il est intéressant de relire aujourd’hui un article de Stathis Kouvelakis paru en 2016. Kouvelakis, professeur en philosophie politique au King’s College, faisait partie de la minorité de Syriza qui prônait la résistance à l’UE et la sortie de l’euro dès lors que la démonstration fut faite de l’impossibilité de trouver des compromis acceptables avec la Troïka:

“L’UE n’est pas réformable et je pense qu’il n’existe pas d’autre solution que sa dissolution. Une vraie refondation de l’Europe signifie briser la cage de fer de l’austérité perpétuelle et du néolibéralisme autoritaire, et cela passe par une rupture avec la machinerie institutionnelle de l’UE. Il faudra donc jouer le jeu des référendums, tout en empêchant les forces de la droite xénophobe et nationaliste de gagner l’hégémonie et de dévoyer la révolte populaire. La gauche de la gauche a pris beaucoup de retard, mais elle ne peut plus penser qu’elle parviendra, sans rupture avec l’UE, à changer le rapport de force à l’intérieur d’une machinerie spécialement conçue pour empêcher toute divergence, et face à un rouleau compresseur dont on a vu comment il a pu écraser la Grèce.

En février 2015, lorsque je faisais encore partie du comité central de Syriza, à l’occasion d’une grande réunion qui s’était tenue à Londres, au siège de la confédération des syndicats britanniques, pour fêter la victoire de notre parti en Grèce, Jeremy Corbyn, dont personne n’envisageait alors qu’il puisse prendre la direction du parti travailliste, était venu me parler en marge de la réunion, en me disant: “Est-ce que vous avez un plan B? Parce que l’UE va vous écraser, en commençant par attaquer votre système bancaire.” Il m’a raconté le choc qu’il avait subi lorsqu’il était jeune militant et que le parti travailliste avait gagné les élections de 1974 sur un programme radical. Le système bancaire britannique avait immédiatement été attaqué, contraignant le Royaume-Uni à faire appel au FMI pour demander un prêt et à mettre en place des politiques austéritaires en échange. Il voulait que je le rassure sur le fait que nous avions un plan B, et moi qui appartenais à la minorité de la direction de Syriza, je ne pouvais que lui répondre qu’il fallait qu’il en parle avec Tsipras, pour tenter de le convaincre.”

En 2019, non seulement ces constats n’ont pas changé, mais ils se sont encore confirmés. En France, Emmanuel Macron incarne une mise en oeuvre caricaturale de la philosophie et des pratiques de “bonne gouvernance” prônées par les institutions européennes: gouvernement par et pour les lobbys, loi sur le secret des affaires, promotion d’une DRH d’entreprise comme ministre du travail, dérégulation du marché du travail, frénésie de privatisations y compris d’infrastructures nationales stratégiques comme les Aéroports de Paris, suppression de l’imposition sur le capital avec la suppression de l’ISF, la flat tax et l’exit tax, etc.

Alain Madelin avait déclaré en 1992: “Le Traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste.”

Non, l’UE n’est pas réformable car elle a été construite, méthodiquement, pour ne PAS être réformable… Dans le jeu complexe des institutions européennes, tout a été verrouillé, plusieurs fois et à plusieurs niveaux, pour rendre impossible tout retour en arrière et rendre impossible toute remise en cause par les peuples de l’ordre économique néo-libéral. Les opinions publiques sont méprisées et considérées comme incapables de saisir la complexité du monde. Seuls les “sachants”, c’est à dire les élites, les dirigeants, les lobbys industriels et financiers, sont en réalité habilités à décider pour le bien des masses.

Est-il besoin de rappeler les propos extraordinaires de Jean-Claude Juncker, Président de l’UE: “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les Traités européens”, voire la déclaration prémonitoire d’Alain Madelin en 1992: “le Traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste”…

Aller voter le 26 mai pour envoyer dans un “Parlement” sans pouvoirs des représentants qui ne pourront que rester prisonniers d’un système “post-démocratique”, qui les utilisera pour masquer le déni fondamental de démocratie qui est son fondement et son essence même? Il est permis de douter de l’utilité de la démarche…

  • Jean-Charles Hourcade Ingénieur, polytechnicien, ex Directeur Général Adjoint du groupe Thomson, responsable de la commission Industrie de République Souveraine

Version originellement publiée sur le site Huffingtonpost.fr le 24 Mai 2019.

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