Chronique d’un malvoyant démasqué

24 juillet 2020

A l’heure où près de 2 semaines après la formation du gouvernement Castex , il n’existe toujours pas de secrétariat d’Etat à la question du handicap, République Souveraine a souhaité laisser la parole à l’un de ces délaissés de la politique de lutte contre le COVID-19.
Mathieu est déficient visuel et expose son vécu de personne en situation de handicap face à l’obligation de port du masque.

La crise du Covid-19 que nous traversons actuellement fait beaucoup parler et sur beaucoup de sujets, néanmoins, le sujet majeur qu’est le handicap ne doit pas faire recette à en juger par le peu de traitement qu’il a reçu. Cette crise sanitaire témoigne d’une discrimination ordinaire. Au moment de l’annonce du confinement généralisé, rien n’a été prévu pour les personnes handicapées, il aura d’ailleurs fallu deux semaines pour produire une attestation de déplacement accessible. Lorsque des personnes en situation de handicap ont tenté de tirer la sonnette d’alarme, il leur a été objecté de se tourner vers des associations à proximité de leur domicile pour trouver assistance. En terme plus familier, débrouillez-vous et en silence s’il vous plait, nous avons des vies à sauver. En attendant, personne ne va venir me faire les courses ou remplir les obligations qui m’incombent. Notez que les PMR (personnes à mobilité réduite) n’attendaient pas grand-chose du chef de l’état, du gouvernement ou de la classe politique dans son ensemble. Si ce n’est prendre des décisions visant à rassurer le plus grand nombre sans jamais se préoccuper des cas particuliers dont les personnes handicapées font partie. Madame la secrétaire d’État auprès du Premier ministre en charge des personnes handicapées se dit soucieuse de « la nouvelle équation » que pose le Covid-19 pour les PMR dans un mail adressé à l’association nationale des maîtres-chiens guides d’aveugle. J’acquiesce de son souci, mais personne ne pourra objecter de la non-accessibilité de ce dé-confinement. Force est de constater que depuis l’allègement des règles du confinement, toute une série de mesures sont prises pour tenter de contenir une deuxième vague de contamination. Malheureusement, le dispositif repose sur des repères visuels, cela est désastreux pour les aveugles et mal-voyants puisque les personnes environnantes dans les lieux publics vous invectivent parce qu’évidemment vous ne respectez pas les distanciations physiques visibles par des marquages au sol. J’emprunte les transports en commun dans lesquels ont été installés des autocollants sans relief sur le sol et sur des sièges pour qu’ils ne soient pas utilisés, il y a beau faire, quand vous ne voyez rien, c’est compliqué. La nouvelle nécessité des plaques de Plexiglas qui pour la plupart sont dénuées d’avertisseurs de présence me vaut  quelques facéties. Dans le cas des personnes sourdes et malentendantes qui utilisent la lecture sur les lèvres pour échanger avec autrui, je leur souhaite bien du courage avec des interlocuteurs masqués et peu enclin à faire un quelconque effort afin de comprendre la situation. Le monde dit « d’après » qui se construit exclut, de fait, les personnes en situation de handicap, deux exemples significatifs : les professionnels handisport dont la discipline nécessite un accompagnant ont vu la reprise des entraînements décalés par rapport à leurs collègues valides. Et le ministre de l’Éducation nationale illustrait ce mépris à l’endroit des PMR en claironnant à qui voulait l’entendre que les enfants en situation de handicap étaient prioritaires pour retourner à l’école, très bien, mais sans leur AVS ou AESH, et sans possibilité qu’un adulte se tienne à proximité, autant dire que ce retour n’était pas possible avant l’assouplissement du protocole.

  La pandémie du Covid-19 est une double peine pour les personnes handicapées. Les pouvoirs publics traitent les questions d’accessibilité à la marge, mais aussi parce que la loi les y contraint.  D’autre part, en ces temps de pandémie, lorsque vous demandez de l’assistance (lire une date de péremption sur un produit alimentaire, demander une direction…) les gens fuient à toutes jambes, suspicieux. Ça, c’est sans compter les insultes, voire menaces (parapluie ou canne…) pour non-respect des distances de sécurité. Visiblement, le concept de « distanciation sociale » fait une belle carrière auprès des personnes handicapées.

  Si modernes que nous nous plaisons à le penser, en ces temps de crise sanitaire, il apparaît que l’excommunication est proche pour les personnes en situation de handicap. Madame la maire de Paris avait demandé la réouverture des parcs et jardins de la ville ce qui était plutôt salutaire lorsque nous sommes parents, mais cette mesure avait un coût, celui de devoir porter un masque dans tout l’espace public… Proposition mise à mal par la suite de l’histoire. En clair dans une situation de cécité partielle je compense par mes autres sens dans la vie quotidienne, ce qui n’est pas toujours simple, de surcroît, je dois désormais faire l’ablation d’un second sens. Les déplacements demandent une concentration accrue et écouter les gens à travers un masque le demande également… choix cornélien : se déplacer ou comprendre mon interlocuteur ? Il est assez ironique de nous demander de rester chez nous puisque même si nous le désirons, l’inaccessibilité du dit dé-confinement sont des empêchements supplémentaires à la quotidienneté des personnes handicapées.

  Il est néanmoins prévu par le décret n°2020-548 du 11 mai, article 14, réaffirmé au gré des décrets successifs que les personnes en situation de handicap munies d’un certificat médical peuvent être dispensées de porter un masque. Situation qui implique donc de justifier de son handicap et de son état de santé, dans les transports depuis le 11 mai, et désormais dans tous les endroits publics clos. Les personnels ne sont ni formés ni informés grâce au matraquage simplificateur des pouvoirs publics, relayés par les journalistes : « le port du masque obligatoire pour tous ». Naïvement je croyais que le travail des journalistes était de donner des informations justes et non d’être des relais de communication. Les dérogations existent de droit mais alourdissent considérablement la charge mentale des PMR et de leurs aidants. Les remarques discriminantes, le regard des autres, la pression sociale tout simplement peuvent pousser certains à se mettre en danger, le bénéfice du masque peut parfois être bien inférieur à celui de ne pas en porter.

  Jusqu’à présent, je me suis focalisé sur l’épreuve du confinement et du dé-confinement que nous traversons, mais la question du handicap dans notre pays est surtout affaire d’associations qui font un travail remarquable. Nous pouvons quand même constater qu’aucun discours structuré et organisé en faveur du handicap n’aboutisse, du fait d’un traitement en sédimentation. Ainsi les instances du handicap prennent pour interlocuteurs des fédérations de handicap qui sont catégorisés selon les déficiences (sourds, aveugles, paralysés…), il convient de noter que les personnes handicapées sont peu entendues et écoutées. Avant la crise que nous traversons, il était question d’un grand plan en faveur du handicap. Avant toute annonce à effet de manche, il faudrait peut-être considérer les personnes handicapées comme des individus à part entière, le handicap n’est pas un choix. En attendant les possibles changements à venir avec une proposition de loi présentée à l’assemblée le 13 février dernier, l’AAH est actuellement versée aux personnes handicapées en fonction, bien évidemment de leurs revenus, mais surtout de ceux du foyer, donc soumis aux revenus de leur conjoint, cette situation pousse de nombreuses personnes à ne pas officialiser la relation amoureuse pour ne pas devenir financièrement dépendantes de son conjoint. Certainement, un moyen de reconnaître la dignité et l’autonomie que toutes personnes  même « fragiles » disposent.

Mathieu Picard

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